Les Armoiries de Névian
NEVIAN figure dans le dénombrement qu’effectuèrent, en 1271, devant les agents du Roi, le vicomte Aimeri IV (V) et son frère Amauri, avant de se partager le vicomté. C’est assez dire que Névian se trouvait dans le vicomté de Narbonne, et sous la suzeraineté des vicomtes, jusqu’à la réunion à la couronne de France en 1508, qui le fit passer sous la suzeraineté directe du Roi.
Mais que ce soit sous la suzeraineté des vicomtes de Narbonne ou des rois de France, Névian appartenait au Chapitre de la cathédrale St Just et St Pasteur de Narbonne, qui était à la fois son seigneur spirituel, étant le patron de son église St Paul, et son seigneur immédiat temporel, y ayant toute la justice, haute, moyenne et basse.
Les armes « de seigneurie » de Névian étaient donc celles de son seigneur, le chapitre de St Just et de St Pasteur, qui, comme chacun sait était «d’argent à la croix de gueules » (Armorial Général de France, Montpellier-Montauban, p.73) c’est-à-dire blanc avec une croix rouge, comme on peut le voir en maint endroit dans la cathédrale de Narbonne, et également sur le beau plan conservé à la mairie de Névian.
Mais, en 1696, Louis XIV, fort à court d’argent, décida pour s’en procurer que les particuliers et les communautés du royaume auraient à faire enregistrer leurs armes – contre finances, bien entendu !
Ce fut un vrai roman, avec force péripéties, et qui dura jusqu’en 1709, car les français, comme chaque fois qu’il s’agit de verser de l’argent à l’Etat, se dérobèrent à qui mieux mieux. Il fallut en venir à faire imprimer à l’avance des rôles où étaient inscrites toutes les personnes et les communautés que l’on estimait devoir porter des armoiries ; et si elles n’en déclaraient pas, il leur en était imposé et attribué d’office. Le tout était inscrit et peint sur l’Armorial Général de France, confié à la garde de Charles-René d’Hozier qui a laissé son nom à cette énorme collection conservée à la Bibliothèque Nationale à Paris. Les commis de d’Hozier avaient ouvert des bureaux dans chaque chef-lieu de diocèse du Royaume, et ils y enregistraient les déclarations ou en imposaient quand les déclarants étaient défaillants ou ne possédaient point d’armoiries.
Ils arrivaient avec un lot de dessins tout imprimés, propres à chaque bureau, et dont ils se contentaient de varier les métaux (or et argent, c’est-à-dire jaune et blanc), les émaux (azur, gueules, sinople et sable, c’est-à-dire bleu, rouge,vert et noir) et les fourrures (hermine et vair) suivant un ordre invariable. C’est avec ce moyen qu’ils attribuèrent des armes aux « communautés d’habitants » d’une foule de villages français, qui n’en avaient jamais eues. Pour le Narbonnais, les dessins en question étaient soit un chef (bande horizontale au somment de l’écu), soit un pal (bande verticale au milieu de l’écu), soit une fasce (bande horizontale au milieu de l’écu), couvertes de losanges allongés appelés « fuseaux », en nombre indéfini. Ce sont les « blasons aux losanges » de la campagne narbonnaise, tous pareils, et tous différents, parfois malheureux esthétiquement quand l’alliance des couleurs est fâcheuse ; d’autres fois très heureux et décoratifs, surtout quand il n’y a que deux couleurs. Dieu merci, c’est le cas pour Névian, qui reçut le blason « de gueules à un pal fuselé d’argent et de gueules » (Armorial Général de France, Montpellier-Montauban, p.1507), c’est-à-dire rouge avec une bande verticale couverte de losanges blancs et rouges, ce qui a en outre le mérite de rappeler les couleurs du blason du Chapitre de St Just.
Lorsqu’on le dessine, peu importe le nombre des losanges : c’est l’affaire de dimensions et de goût. Il faut seulement que ce soient les demi-losanges qui touchent le fond rouge, pour une raison de graphisme visuel évident. Ces blasons « aux losanges » ont été longtemps méprisés et méconnus ? C’est vrai qu’à l’époque ils ont été fabriqué à la chaîne, et imposés à des communautés qui ne s’en souciaient pas, qui ne les avaient pas demandés, et qu’ils fallaient les payer de surcroît ! Mais maintenant ces armes ont trois siècles ; elles sont devenues vénérables ; elles se ressemblent, c’est vrai, mais cela fait sentir aux villages leur commune appartenance à la patrie narbonnaise, de la même façon que les blasons en Y sont communs à tous les bourgs et village de la campagne biterroise. Et surtout, ces armes qui datent pourtant du règne de Louis XIV, sont des armes véritablement « civiles », plus du tout seigneuriales, attribuées à des communautés d’habitants libres et organisés ; on pourrait à juste titre dire que ce sont des armes républicaines avant la lettre, et à ce titre doivent nous être chères.
Extrait du bulletin n°4 (Eté 1991) de DAL MOULI AL ROC d’AGEL.